J'en avais souvent entendu parler de cette action.
"Si il continue à te harceler, va porter plainte".
"S'il t'a menacé, va porter plainte".
Entendais-je de temps à autre par-ci par là. Une action visant donc à refroidir un individu lourdingue qui vous enquiquine un peu trop. Seulement, j'ai aussi appris qu'on peut porter plainte contre X. Ce qui signifie qu'on peut porter plainte contre "personne" en clair. La première fois, je me suis demandé quel était l'intérêt de porter plainte contre "personne". Probablement la jeunesse, la naïveté, tout ça, tout ça...Et puis j'ai appris que la plupart du temps c'était pour enclencher un processus d'enquête et également faire marcher les assurances lorsqu'il y a eu un préjudice matériel.
Aujourd'hui, sur un chantier, j'ai eu un préjudice matériel. Notre superbe roulotte de chantier, servant principalement de réfectoire aux ouvriers, a été fracturée et cambriolée par des individus de type X, ayant décidé de dérober un superbe radiateur à gaz ainsi que le réfrigérateur assorti. Il faut dire qu'ils étaient tous deux conçus par le brillant artiste mondialement reconnu, Monsieur Y et donc d'une valeur financière appréciable. Seulement, après constat des dégâts, l'entreprise de location qui nous fournissait la roulotte a estimé les dommages à 2800 euros.
Aoutch! Ça pique légèrement.
Ni une, ni deux, il est temps de faire intervenir l'assurance, après tout la cotisation annuelle est assez élevée pour ne pas en profiter l'instant venu. Mais pour cela, il faut préalablement aller "Porter Plainte".
Enfin! Pour la première fois de ma vie, j'allais porter plainte! Mon excitation est à son comble, cela va sans dire. Je m'imaginais déjà la scène : face à un lieutenant de Police à la Navarro, en train de raconter les terribles malheurs qui me tombent dessus, et derrière, Horacio Caine, les lunettes de soleil Ray-Ban posées sur son nez et son équipe d'experts qui débarquent sur le chantier, tous gyrophares enclenchés, dérapages contrôlés au frein à main, avec leur matériel de professionnels pour relever les empreintes et les cheveux ou autres poils pubiens en vue d'une analyse ADN pour retrouver les criminels.
Seulement, la réalité est tout autre. Premier constat : le commissariat de Police est difficile à trouver. Très difficile...Mais il est où bordel??? Ah le voilà, caché derrière de pitoyables platanes effeuillés et un bâtiment administratif délabré où probablement bon nombre de fonctionnaires sont en train de boire leur quatrième café de la matinée.
Je me gare donc sur le parking du commissariat, et entre dans le poste de Police. A l'accueil, une femme d'un âge avancé, l'air quelque peu dépressif me fait signe d'avancer au comptoir et me demande l'objet de ma visite. Je lui réponds alors fièrement, telle une collégienne annonçant à ses parents qu'il vient d'obtenir un 20/20 en mathématiques : "Je viens porter plainte".
La femme, pas du tout inquiète ni impressionnée, appelle Robert, son collègue, d'une voix rauque et lasse.
Cinq secondes plus tard apparaît le fameux Robert, le crâne légèrement dégarni, des lunettes en cul de bouteille et l'air un peu niais.
"Que se passe-t-il?" demanda-t-il avec un léger cheveu sur la langue qui cassait radicalement avec le ton solennel qu'il tentait d'arborer.
"C'est la demoiselle, elle vient pour déposer une plainte". La routine quoi, semblait-elle dire.
Il me jaugea du regard un instant, un peu surpris probablement par mon accoutrement de chef de chantier, et me demanda :
"Qu'est-ce qu'il vous est arrivé mademoiselle?" toujours avec son léger zozotement qui le décridibilisait.
-Notre roulotte de chantier a été fracturée durant les vacances, on nous a dérobé un radiateur à gaz ainsi qu'un frigo" répondis-je.
"A quel endroit?
-A l'hôpital suburbain."
*Hors sujet*
C'est à ce moment là qu' "Il" est apparu. "Il", c'est un policier. Il n'était pas en tenue de policier, mais travaillait à l'évidence ici. Son sourire. Ses yeux. Sa voix. Sa douceur. En bref, "Il" était parfait. Le coup de foudre comme on dit. Et triomphe suprême : "Il" m'a parlé. Des fois, il nous en faut peu...
*L'instant romantique est à présent terminé.*
"Il" étant à présent parti, nous pouvons continuer le fil de notre aventure tumultueuse.
"Bien, nous allons envoyer immédiatement une équipe sur place pour faire un constat et relever quelques empreintes -waouh c'est un peu comme dans les Experts là!- s'enquit Robert. "Vous reviendrez après et on pourra faire les papiers" rajouta-t-il.
C'est reparti pour le chantier, où une voiture de Police me rend rapidement visite, deux jolies femmes à l'intérieur, et un homme sur la banquette arrière. A croire finalement que le machisme est en voie de disparition. Les deux policières sortent de la voiture, telle Ursula Andress sortait de l'océan dans James Bond contre Dr No (non, non, je n'exagère pas!). Elles font le tour des lieux du crime, remarquent des choses que même avec une loupe je n'aurais su constater, puis me disent que c'est bon pour le constat, et que je peux désormais revenir au poste pour faire ma déclaration.
Retour au poste de Police. Mon regard se jette un peu partout dans l'espoir de l'apercevoir. Mais "Il" n'est visiblement pas là. On m'appelle soudain. "C'est au premier étage, la porte en face de l'escalier" me dit-on. Je prends donc l'escalier et rentre dans la fameuse salle en face de l'escalier. Cette salle me rappelait à peu près les toilettes de mon école primaire si ce n'est que les urinoirs étaient remplacés par des étagères en aluminium Ikea et les lavabos par des bureaux en formica avec des ordinateurs posés dessus, probablement dotés du fameux logiciel Windows 95.
Assise derrière le bureau, une femme, la quarantaine, blonde, petites lunettes de secrétaire, me suggère d'entrer et de m'installer sur la chaise en face d'elle.
Vient le remplissage de la déclaration. La femme me pose plusieurs questions :
"Votre Nom?
-Fret
-Prénom?
-Miro
-Date et lieu de naissance?
-26 août 1986 à Clermont-Ferrand.
-Clermont-Ferrand c'est dans le département de l'Auvergne ça non?
-Euh...Non, c'est dans le Puy-de-Dôme. L'Auvergne c'est une région vous savez...
-Oui, oui sûrement. Votre numéro de téléphone?
-06 ** ** ** **
-Adresse personnelle?
Pensée intérieure à cet instant précis : "Mais elle est de la police elle ou quoi? Ah ben oui en fait."
Et là, je la vois taper mollement et à l'aide de ses deux index uniquement, sur son clavier d'ordinateur usagé. Elle me pose ponctuellement quelques questions du type "A quoi sert cette roulotte?" ou encore "Êtes-vous assurés?" ou bien "Avez-vous des soupçons envers des individus?", tout en continuant son roman policier à deux doigts. Enfin, au bout d'une dizaine de minutes, elle m'annonce : "Ca y est c'est fini".
Soulagée de ne plus avoir à rester assise sur une chaise inconfortable à regarder deux doigts appuyer des touches au ralenti -ce qui, au passage, possède un certain pouvoir hypnotiseur- je la remercie, prends ma déclaration et m'en vais. Non sans jeter un oeil un peu partout afin de tenter de "Le" revoir une dernière fois.
Je remonte dans mon petit Kangoo puis jette un regard à ma déclaration par curiosité. J'ai alors remarqué une chose étrange. Cette déclaration est tout ce qu'il y a de plus officiel, de plus solennel. Pourtant, une phrase a attiré mon attention, juste après la mention "Motif ".
Il y a précisément écrit ce qui suit (fautes d'orthographe incluses) :
MOTIF : Cabane de chantier fracturé par un ou des mec qui sont passés par la trappe d'aération.
Ah d'accord. Suis-je trop puriste, ou ils sont pas sérieux ces flics?
Bref, j'ai été déçue de ma première fois. Porter plainte en fait c'est nul.